La Muda de Sarawak
Une
fois n'est pas coutume, je vais vous conter une histoire qui n'a rien à
voir avec les tarots… en tout cas, au début.
|
Voyage en Malaisie
Tout commence sur la troisième plus grande île du
Monde, Bornéo en actuelle Malaisie, où vivent les Dayaks,
tribu dont les ancêtres
remontent à 40 000 ans. Découverte et
cartographiée par les navigateurs portugais au début
du xvıe
siècle, l'île ne connaît la colonisation qu'à partir du xıxe
siècle.
Suite à des difficultés de gestion, le sultanat
de Brunei, récolte le
mécontentement de la population locale, qu'il ne parvient plus à
maintenir. Après diverses tentatives, il va faire appel à un aventurier
anglais.
|
Sarawak
se situe
au nord de l'île de Bornéo |
Le royaume de Sarawak (1841-1946)
James Brooke (1803-1886), ancien soldat
anglais de l'Armée des Indes est en quête d'aventure. Il achète un
navire et l'équipe pour se rendre à Bornéo. Là, il se met au service du
sultanat de Brunei et parvient maîtriser la situation locale.
Pour le remercier, le sultan de Brunei offre un
territoire à James Brooke et le
nomme Râja (gouverneur) du
Sarawak, ce qui en fait le premier des Raja Putih (Rajahs
blancs) en 1841. Au fil de trois générations, James Brooke et
ses héritiers étendront progressivement leur domaine qui prendra la
forme de
l'actuel Sarawak (en rouge sur la carte ci-dessus). Ainsi, trois Rajah
blancs se
seront succédé : James Brooke (premier Rajah, de 1841 à
1868) ;
Charles
Brooke (2e
Rajah de 1868 à 1917), neveu de James ; puis Charles Vyner
Brooke (3e
Rajah de 1917 à 1946), fils du précédent. La suite de l'histoire du
Sarawak intéressera moins
notre propos. Notons toutefois qu'il sera pris par les Japonais
durant la seconde guerre mondiale, repris par les troupes australiennes
en 1945, cédée par Vyner Brooke au Royaume-Uni pour devenir
une colonie de la couronne britannique et qu'il sera finalement
rattaché à la Malaisie en 1963. Le royaume de Sarawak aura duré un peu
plus d'une centaine d'années.
|
La famille Brooke, de James à Bertram, mari de Gladys Milton Palmer |
La Dayang Muda de Sarawak
Durant l'histoire de Sarawak, les membres de la
famille Brooke, jouissent du titre de Tuan Muda of Sarawak
et le transmettent à leur conjoints. Ainsi en 1904, le Capitaine
Bertram Brook, frère de Vyner Brook (le
troisième Rajah blanc), épouse Gladys Milton Palmer avec qui il partage
désormais son titre de Raja de
Sarawak. Cette femme a un parcours
atypique, relaté dans son autobiographie : H.H. The Dayang Muda of
Sarawak (le double H est le titre royal, abréviation de Her Highness, Son
Altesse).
|
La
Dayang Muda de Sarawak
(Gladys Milton Palmer Brooke) |
Le fin mot de l'histoire
Nous arrivons enfin au moment qui lie ce pan de
l'histoire avec le
sujet qui nous intéresse habituellement ici, à savoir les tarots : J'ai
acquis un exemplaire de la première édition du Tarot
des Imagiers du Moyen Âge d'Oswald Wirth (Paris, Émile
Nourry, 1927), et il se trouve qu'il est dédicacé par Oswald Wirth, à
l'attention de Son
Altesse la Muda de Sarawak. Je n'avais jamais entendu
parler de cette personne et me suis lancé dans une enquête qui m'a
encore une fois fait voyager dans le temps et l'espace. Et c'est ainsi
que je vous en fais part ci-dessus.
|
Dédicace
d'Oswald Wirth : à Son
Altesse
la Muda de Sarawak, hommage respectueux de l'auteur, 18 mai 1938 |
L'ouvrage se présente dans une très belle reliure en papier teinté
vert à motifs marbrés, demi cuir et qui est, comme le
veut la tradition, marqué au dos, du nom de l'auteur et de
l'ouvrage. Les onze
planches chromo-lithographiées en couleur et rehaussées de doré ont été
incluses dans la deuxième partie de l'ouvrage,
consacrée au symbolisme
des vingt-deux clefs de la Sapience secrète du
Moyen Âge.
|
Reliure
demi-cuir pour cette édition originale de 1927 du Tarot des Imagiers
|
Qui fut Gladys Milton Palmer
N'ayant pu nous procurer son autobiographie (qui est
toujours sous droits d'auteurs), nous ne savons pas grand chose
de la Muda de Sarawak. Une recherche sur Internet nous permet de
rassembler quelques
traces éparses, qui brossent à grand trait, le profil de cette
ésotériste. Née en 1884, elle est la fille
unique de Sir Walter Palmer et de Jean Lady Palmer. En 1904, elle
épouse Bertram Brooke (à qui elle donnera un fils et deux
filles) et fait une unique visite du Sarawak. Peu avant la
quarantaine, elle créé une
compagnie cinématographique : the Big Four Famous Production (1922),
qui ne produit q'un seul film cette même année : Potter’s Clay. Elle
fait écrire ses mémoires par Kay boyle (non créditée
dans le livre), sous le titre Relations
and Complications. Being a Recollection of H.H. The Dayang Muda of
Sarawak (1929),
dans lequel figurent 38 illustrations et photographies. Après avoir été
protestante, science-chrétienne, puis
catholique-romaine, elle s'est finalement convertie à l'Islam à Paris
en 1932 et a pris le nom de Khair un-nisa binti 'Abdu'llah. Elle
côtoie la société parisienne et s'investit dans la spiritualité. Grâce
aux Comptes rendus de
revues que René Guénon publie dans le Lotus Bleu d'avril
1934, on sait qu'elle a fait une conférence intitulée L’ésotérisme
islamique, artisan d’union entre l’Orient et l’Occident.
Moment anecdotique qui est à l'origine de cet article, elle se
fait
dédicacer l'ouvrage d'Oswald Wirth en 1938. Gladys Milton Palmer, dite
la Dayang Muda de Sarawak décède le 12 juin 1952.
|
La
Dayang Muda de Sarawak
|